Eclat de Noisette s'affairait dans son antre, accablée d'angoisse : Griffe de Blaireau, le doyen du Clan, était touché par une affreuse maladie qui, depuis quelques temps déjà, lui faisait cracher du sang et parfois, le rendait agressif. Ce mal ne ressemblait que trop à celui qui s'était abattu sur l'ancienne Chef de la tribu. En tous cas, les symptômes paraissaient identiques, jusqu'au nombre de fois où, piquant d'horribles crises de colères, les félins s'étaient attaqués à des chatons terrorisés. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la défunte meneuse ne serait pas trop regrettée... Les clameurs qui, dans le Camp, montaient en direction du ciel d'automne arrachèrent un sourire au joli minois de la soigneuse. En effet, elle serait d'autant moins regretté que son fidèle Lieutenant la remplaçait, désormais. C'était d'un bon œil qu'Eclat de Noisette regardait ce changement : Immensité Tranquille -maintenant Etoile Tranquille- s'était toujours montré particulièrement pacifique, à l'écoute des siens, que ce soient des Guerriers ou des apprentis, pour les moments difficiles. Et justement, le Clan de l'arc-en-ciel sortait d'un moment difficile. Le grondement sourd que poussa Griffe de Blaireau dans son sommeil ramena la jeune chatte sur terre. L'écume qui blanchissait ses babines lui donnait l'air fou, assoiffé de rage. Le sang se mélangea presque aussitôt à la substance blanchâtre. La Guérisseuse n'osait pas imaginer le carnage que l'ancien aurait causé, si elle ne s'était pas assuré -en débâtant de longues minutes- qu'il n'ingurgite quelques graines faisait office de somnifères, afin qu'il ne souffre pas trop tout en laissant les plus faibles du Clan tranquille. D'ailleurs, si en ce moment présent, il était conscient, Eclat de Noisette ne doutait pas un seul instant qu'il se jetterait sur elle, pour très certainement la réduire en charpie. Cette certitude attristait la femelle, sachant à quel point Griffe de Blaireau était tendre et aimant, jusqu'à ce que cet étrange mal ne le ronge. Tout comme Etoile de la Mélodie... Dans un soupir, Eclat de Noisette s'assura que le souffrant dormait assez profondément, et le força à boire dans son sommeil, de crainte qu'il ne reprenne conscience pour le moment. Fort heureusement, l'ancien se contenta de grogner, de s'agiter quelque peu, puis, les ronflement se firent plus intenses. Poussant un soupir de soulagement, la jolie chatte écaille se retourna, pour ensuite continuer à ranger les remèdes éparpillés sur le sol, et replonger dans ses pensées. L'ombre qui se prolongea jusqu'à ses pattes et le salut qui l'accompagna la firent sursauter :
- Etoile Tranquille !
Dans un petit cri de joie, Eclat de Noisette se précipita en direction du beau matou brun tigré, au pelage parsemé de taches blanches par endroits et au regard d'émeraude pour se frotter à lui, ronronnant bruyamment. La parfum qui se dégageait de lui la fit frémir de plaisir, l'entoura de douceur, et eut pour effet de la réconforter après ce rude début de journée.
- Qu'est ce que le noble Chef désire de moi ? ronronna-t-elle d'un air taquin.
La douceur des poils du jeune male la fit frissonner, tandis qu'elle se remémorait son apprentissage, toutes les fois où, petite, elle s'était blottie contre son corps chaud pour lutter contre le froid glacial ou, parfois, simplement pour se sentir réconforter. Elle ne comptait même plus les fois où, abattue par la nostalgie, elle s'était confiée à lui et qui, en quelques coups de langue, réussissait à gommer sa tristesse. Etoile Tranquille était de loin son ami le plus fidèle, son confident le plus proche.
- Je suis très fière de toi, mon beau chasseur... souffla-t-elle en enfouissant profondément son museau, porteur de senteurs médicinales, dans l'épaisse fourrure rayée du male.
Elle redressa la tête et, d'un ton chargée de regrets, déclara :
- Je suis sincèrement désolée de ne pas être allée t'acclamer en compagnie des autres, mais le cas de Griffe de Blaireau a empiré... Je pense qu'il ne passera pas la nuit. Je n'ai pu que lui administrer des graines, pour qu'il ne nous quitte pas comme Etoile de la Mélodie, pour qu'il ne souffre pas...
La Guérisseuse poussa un profond soupir, qui fit trembler les poils du jeune Chef, et se détourna lentement. Ses prunelles paraissaient teintées de tristesse :
- J'ai fait tout mon possible, Etoile Tranquille.
Dans le fond de l'antre, les gémissements de Griffe de Blaireau se mélangèrent à des grondements féroces, comme pour souligner ce que "le possible" de la chatte donnait comme résultat.

Eclat de Noisette courba la nuque, emplie de tristesse à l'encontre du doyen du Clan, dont l'esprit étincelait désormais au milieu des étoiles, en compagnie de ses prédécesseurs. Cette maudite maladie fauchait tout sur son passage, jusqu'à l'infime parcelle de douceur restante chez certain, la métamorphosant en folie enragée. C'était le cas de Griffe de Blaireau. Il ne fallait pas qu'elle se sente coupable, elle en était consciente, mais la frustration et la tristesse bouillaient en elle, manquant de la faire hurler. Ses griffes longues et aiguisées s'enfoncèrent dans le sol de terre battue, pétrirent les parcelles de plantes médicinales qui s'y entassaient et ses coussinet prirent une teinte ocre, assortie à la couleur qui tapissait le parterre de l'antre. Les paroles du chef le ramenèrent à l'instant présent, un peu plus loin de la torpeur désespérée qui rendait ses pensées si sombres et pessimistes. La guérisseuse se tourna en direction du male à l'épais pelage crème et le regarda intensément, curieuse de connaitre la raison de se présence en sa tanière, si ce n'étaient pour s'enquérir de la santé des siens. Elle paraissait si fragile ainsi... La mine inquiète, les moustaches tombantes, la fatigue et le manque de temps qu'elle se consacrait rendant son pelage brillant et touffu plus terne, moins agréable à toucher. La queue trainante, Eclat de Noisette se dirigea au fond de son antre, et stoppa net à coté de la couche masqué par le corps inerte et déjà froid de l'ancien.
- Je t'écoute, dans ce cas.
Emplie de douceur, la soigneuse abaissa les paupières de Griffe de Blaireau et lui lécha le front, d'un geste si tendre qu'il aurait pu faire frémir de jalousie une bonne dizaine de males si elle était une guerrière. Ce qui n'était pas le cas. En entendant la question de son meneur et ami, Eclat de Noisette resta prostrée sur la dépouille du défunt un court instant, pour ensuite se redresser et, en quelques coups de langues appliqués, lisser les poils hirsutes de son poitrail. Il y eut un silence, puis :
- Je ne puis dire que les choses aillent bien... mais si tu entends par là que je ne suis pas touchée par les symptomes, alors en effet, il n'y a aucun problème.
Le ton amer de sa réponse surprit la jolie chatte écaille, qui ne put que se demander, dans un brusque élan d'inquiétude, si la maladie la gagnait, elle aussi. En ce cas, le clan de l'arc-en-ciel était fini, étant donné qu'elle ne disposait d'aucun apprenti. Sa queue fouette mollement l'air et, la mine penaude, elle s'empressa de présenter ses regrets à son meilleur ami :
- Pardonne moi, Etoile Tranquille. Je suis un peu irritable en ce moment... heureusement, pas à cause de la maladie, hein ! s'empressa-t-elle d'ajouter en jugeant le regard paniqué de son interlocuteur. C'est juste que, toutes ces morts et ta nomination à un poste aussi important... Je suis très fière de toi, mais entre nous, ce ne sera plus comme quand tu était guerrier... Tu as plus de responsabilités, et moi aussi, par les temps qui courent... Promets moi de faire attention à toi, Etoile Tranquille. Je dois être plus ou moins immunisée pour ne pas être tombée malade depuis l'épidémie, alors promets moi que tu te rendra auprès de moi si tu as quelque chose. S'il te plait...
Sa dernière phrase se transforma en un murmure suppliant, et ses iris scintillèrent d'une lueur pleine de peur. Pourrait elle seulement ne pas mourir de désespoir si jamais il tombait malade ?

En cet instant, Eclat de Noisette se considérait comme on ne peut plus stupide, honteuse de s'emporter de la sorte face à l'intensité de ses sentiments. Bon sang, il disposait de 9 possibilités de résurrection, et elle, tout ce qu'elle réussissait à faire, c'était passer pour une chatte paniquée, incapable de maitriser ses émotions et trop faibles pour soigner correctement les siens. Pourquoi s'inquiétait-elle autant pour lui ? Il se portait pourtant comme un charme, alors nul besoin ne persistait de s'enquérir à ce point de sa santé ! Surtout qu'il était fort probable, à l'heure présente, que le symptome touche des membres plus fragiles. Comme la portée récente d'adorables chatons de Pelage de Castor et Queue de Cerise*... Fermant les paupières, la Guérisseuse chassa ses sombres pensées, et fit doucement s'épaissir son épaisse fourrure tricolore. Le froid la fit soudainement frémir, sans qu'elle comprenne pourquoi. Etait ce une présage du Clan des étoiles ? Non, il fallait qu'elle cesse de ressentir une telle paranoïa chaque fois que des phénomènes inhabituels se produisaient. D'ailleurs, les Guerriers de jadis ne s'étaient pas manifestés depuis longtemps maintenant... Présage funeste ou sans signification ? Signifiait il qu'il ne fallait pas s'en faire ou, au contraire, que les 4 tribus allaient en direction de leur perte, d'où leur détachement progressif et son absence de songes prémonitoires ? Pestant intérieurement contre sa propre personne, elle se détourna et croisa le regard de son Chef, qui détaillait ses traits en une tristesse infinie, comme s'il se retenait de faire quelque chose. Il paraissait si triste, si désespérée que le cœur de la jeune chatte se serra douloureusement, et elle lui jeta un coup d'œil inquiet :
- Je... tout va bien ?
Question idiote et passablement inutile. Bien sur que ça n'allait pas ! Il suffisait de le regarder pour s'en rendre compte, mais elle ne comprenait pas l'origine de cette souffrance, qui semblait profonde. Etait ce à cause de Griffe de Blaireau ? Sans en connaitre la raison, Eclat de Noisette se dit qu'aucun rapport ne liait la mort du défunt à la mélancolie de son meneur. Alors quoi ? Souffrait-il à cause d'une femelle lui ayant brisé le cœur ? Beaucoup de males se rendaient en son antre afin qu'elle les console, les rassure et tente de recoller les fragments de leur cœurs brisés, mais la simple idée qu'Etoile Tranquille puisse être en couple la fit tressaillir de jalousie. Pourquoi ressentait-elle donc pareil sentiment ? Au contraire, elle aurait du se montrait heureuse et fière ! Il ne lui laissa toutefois pas le temps de lui poser une question à ce sujet, apportant une réponse rapide à sa toute première interrogation, comme s'il craignait de ne pas s'en montrer capable tant son intonation tremblait d'émotion. Elle espérait que cela soit là la seule raison de son désarroi :
- J'ai bien peur que si le Clan des étoiles ne m'appellent au sein de leur rang, je n'ai guère de possibilités... mais oui, je te promets de faire tout mon possible pour rester ici le plus longtemps possible, et de ne pas mourir sans me battre tant que je ne sois pas certaine de la sécurité du Clan et de la tienne.
Les 2 allaient forcément de paire de toutes façons... L'hésitation marquée par son meilleur ami au moment de prononcer son dernier mot lui noua l'estomac. Les Guérisseurs remarquaient ce genre de choses, et il ne désirait pas employer le simple mot "d'ami". Alors quoi ? Sans réfléchir à ce qu'elle disait, Eclat de Noisette se campa bien en face du male et annonça :
- Tu sais que je t'aime, Etoile Tranquille. Je mourrai pour toi.
Bien sur, le sens de ses mots étaient uniquement destinés à faire disparaître le désespoir des traits du meneur, mais en était elle si certaine qu'elle ne le paraissait ?