Quand un cœur s'arrête de battre, un autre apporte l'espoir [Hivernou & Petit Espoir]

Quand un cœur s'arrête de battre, un autre apporte l'espoir [Hivernou & Petit Espoir]

Feuille de Cannelle, ma si chère dulcinée, en était à son 60ème jour de gestation. Le guérisseur nous avait formellement interdit de sortir nous balader tous les deux : La future mère devait se reposer, surtout qu'elle était très faible en ce moment. Quand elle avait commencé à avoir de la fièvre, j'ai pensé au mal vert qui allait bientôt arriver avec l'hiver, mais grace à quelques herbes, la fièvre a cessé.
Et malgré qu'il ne restait plus que trois ou quatre jours avant l'accouchement de ma belle, nous avions décidé d'aller au champ de blé pour une balade sous le ciel crépusculaire automnal. C'était tellement beau...
M'abandonnant à l'ivresse et la joie, je courrai à ses côtés, caressant du bout des pattes les pousses de blé couchées. Ses pattes aussi blanches que de la neige, et ses yeux d'un bleu nocturne profond m'emportaient dans un monde de rêves et de promesses. Notre vie et notre amour étaient devant nous. Mais le destin en avait décidé autrement...

-Hivernou... Je crois que... ça-y-est...
J'étais totalement sans voix, paniqué.
-Il faut que tu tiennes jusqu'au camp !
-Impossible...

Je soufflai et réfléchissai. La présence d'un guérisseur n'était pas obligatoire à un accouchement, elle pouvait le faire. Mon aimée se coucha alors parmis les épis de blé, sous un ciel d'un violet pur. Au loin les feuilles rouges et ocres du bois des lucioles en automne semblaient prendre feu constament.

•••

J'étais resté longtemps assis à ses côtés, la tête penchée sur la sienne pour lui donner du courage, lui murmurant qu'elle était vaillante et forte.
Le premier chaton arriva, c'était une femelle, puis le deuxième, un petit mâle, et ce n'est qu'après que je remarquai toutes ses pertes de sang.

-Cannou ! Non !
Son regard se troublait déjà et je voyais ses pupilles affolées chercher quelqu'un à qui se raccrocher. Je me serrais près d'elle, pour lui dire que j'étais là, mais après une longue toux son regard se voila d'un voile gris et je criai dans l'air noir de la nuit. Non ! Pourquoi !?
Il me semblait être dans un cauchemar, un très mauvais cauchemar duquel je n'arrivais pas à me réveiller.
Et tandis que je pleurais sur le corps de ma bien aimée Feuille de Cannelle, les deux chatons étaient pris par le froid. Ils ne bougeaient plus. Je ne savais pas s'il étaient mort ou non, mais sans lait, ils tiendraient peu de temps. Et à ce moment là, rien ne m'importait plus que la mort de ma tendre Feuille de Cannelle.

Le cri de douleur déchira l'air crépusculaire, comme un croc aurait fendu la chair d'un ennemi. Puis, le hurlement se transforma en faible gémissement, tandis que le soleil descendait de l'autre coté du monde, en direction d'autres horizons. Soudain, un spasme d'une ampleur supérieur au précédent, énième décharge de souffrance dans le corps de la femelle, laissa apparaître un petit "paquet" trempé, tremblant de tous ses membres chétifs. L'herbe dans laquelle il atterrit était souillé, humide d'un sang frais, porteur de l'odeur métallique qui le caractérisait si bien. Faiblement, le chaton, sans force, tenta de s'approcher de sa mère, et de sœur aussi, mais, malheureusement, seuls les ténèbres, oppressants et teintés d'angoisse, l'empêchaient de se repérer parmi les frondes de blé. Il lui fallait un autre moyen de se diriger : les narines dilatées, le petit s'orienta péniblement dans le champ, tachant de sentir le parfum lactée de sa génitrice et celle, semblable à la sienne, de sa sœur. Enfin, il se heurta à une masse de poils, d'une taille assez réduite, mais ne remarqua que sa froideur, l'absence de senteur et l'inertie qui s'en dégageait. Perturbé, le jeune félin recula précipitamment, pour se cogner contre un corps cette fois chaud, plein de douceur, et qui ne cessait de descendre et monter, d'une manière parfaitement irrégulière. C'était tout ce qu'il attendait : plongeant son museau, si minuscule dans l'épaisse fourrure de sa mère, il commença à téter, jusqu'à ce que, tout à coup, son souffle si fit précipité, ses flancs augmentent d'intensité respiratoire, et qu'un cri de désespoir, intense et terrible, emplisse l'air chargé d'odeurs automnales. Puis, plus rien. Les flancs s'étaient figés, et le gout du lait sembla disparu. Les petites pattes se mirent à pétrir les mamelles, quitte à essayer d'en faire sortir quelque chose, mais rien. Pas même une goutte. Saisi de panique, le chaton remua et se mit à pousser de faibles miaulement : le lait n'était plus là ! D'ailleurs, le parfum rassurant qui émanait de sa génitrice non plus... Désorienté, la chaton gémit plus fort, tout en continuant à marteler le corps immobile de la femelle étendue parmi les épis de blé. C'était si difficile à comprendre ? Il désirait sentir le lait couler dans sa gorge ! En plus, le froid commençait à le paralyser... Dans un ultime effort, il se redressa, poussa un autre miaulement plaintif et attendrissant, pour ensuite zigzaguer dans le champ, et s'effondrer auprès d'une source de chaleur, qui, celle là, semblait forte et n'empestait pas le sang. Mais ne sentait pas le lait non plus... Epuisé par toutes ses émotions, le chaton gémit encore un peu, et se blottit entre les pattes de son père, en quête d'un peu de réconfort, et se roula en boule sous le corps puissant qui le surplombait, tandis que le ciel écarlate laissait peu à peu place à un croissant de lune entouré d'étoiles scintillantes.

Feuille de Cannelle était... morte.
Je ne pouvais pas y croire. Nous ne pourrions plus nous parler, plus jamais avoir de chatons, je ne pourrais plus enfoncer mon museau dans la tendre chaleur de sa fourrure. Son corps me sembla tout d'un coup plus froid que jamais, et je fus frappé d'horreur en la regardant. Ma tendre compagne n'était plus qu'un sac d'os et de chair froid, au regard voilé, désarticulé comme une marionnette sans marionnettiste. Feuille de Cannelle était morte. L'expression de son visage me frappa surtout. Le museau froncé, elle semblait si triste... Et soudain j'approchais mon visage pour appuyer mon museau contre le sien, noir et froid comme une pierre, et pendant un instant je cru qu'elle souriais.
Un léger vent chaud s'empara de moi et s'en alla instantanément.
-Feuille de Cannelle... ?
Mais il n'y avait plus que le froid de la nuit.
Je me sentais désespéré. Je hurlais ma colère au clan des étoiles. Je hurlais de toutes mes forces, les larmes dégoulinant sur mon visage, collant les poils de mon museau entre eux. Et tandis que je m'arrêtais enfin, sans voix, un petit gémissement s'émana du sol. Je ne le vis pas tout de suite, car les blés étaient plus grand que lui, mais une petite source de chaleur vint se loger entre mes pattes avant, et je vis un petit corps blanc crème tout duveteux se rouler en boule.
J'en restai sans voix. Mon chaton était entre la vie et la mort.
L'autre, la femelle, avait déjà abandonné, elle avait comprit que lutter ne servait plus à rien. Elle avait comprit que la vie ne valait pas la peine d'être vécue si on voyait mourir devant nos propres yeux tous ces êtres qui nous étaient chers, que cela ne servait à rien de vivre, si c'était dans le mensonge de sa famille entière, si l'on vous cachait vos frères et sœurs. Je versais une larme sur le petit corps en dessous de moi, être si minuscule dans cet univers énorme. La peau du petit, au contact de la larme, frissonna naturellement.
Comment pouvait-il espérer attendre encore quoi que ce soit de la vie ? Si cruelle, pleine de souffrance. La mort, elle, était comme un long et doux sommeil.

Non. La mort était froide et vide. Et la vie, malgré la douleur, était aussi pleine d'amour et de tendresse. Chacun avait le droit à sa chance.
Attendrit par la boule de poil, je le prenais alors délicatement dans ma gueule.
Bien. Tente ta chance si tu le désires tellement. Mais je te préviens, la vie est parfois si cruelle...
Je courrai vers le camp de la Lune, et me pressais à chaque pas un peu plus, sentant les forces de mon fils l'abandonner. Mon fils...
J'arrivai en trombe et entrai dans la pouponnière, près à supplier n'importe laquelle des mères présentes. Mais il n'y en avait qu'une. Museau de Brume. Sa nouvelle portée avait aussi perdue la vie, comme celle d'avant. Cette chatte était maudite.

-Qu'est-ce que tu m'apportes là, Etoile d'Hiver ?
-De l'espoir... Un tout petit espoir de vie...

Je déposai le chaton à ses pattes.

Le froid mordait le corps du chaton tandis que celui ci se faisait porter par son Père, qui courait, courait sans ralentir au milieu de ses terres plongées dans l'obscurité de la nuit. Claquant des crocs, le chaton tentait tant bien que mal de protéger son corps fragile du manque de chaleur en remuant et, parfois, en remontant ses pattes arrières contre les parties les moins résistantes de sa silhouette. Ses moustaches frôlèrent une sorte de mur humide, et le félin qui le portait accéléra brusquement, se précipitant en direction de l'antre qui se dressait au centre des roches éparses tout au fond du camp. Le jeune chat prit soudain conscience d'une chose : il distinguait les formes qui l'entouraient ! Les couleurs, les teintes, la luminosité qui, en l'occurrence, était très faible... Etonné par ce "prodige", il cessa totalement de remuer, laissant son géniteur pénétrer dans la Pouponnière sans aucune difficulté. Là, une femelle était étendue, les prunelles dures et plantées dans celles du Chef, pour ensuite détailler le chaton qui pendait entre ses mâchoires puissantes. Quelques mots puis, le meneur de la Lune déposa son fils entre les pattes de la chatte, qui continua à le détailler des pattes à la tête.
- L'espoir...
Elle eut un reniflement méprisant.
- J'ai espéré moi aussi. Et regarde ce que le Clan des Etoiles a fait à mes petits ! cracha-t-elle.
Le miaulement paraissait rauque, éraillé, comme si la femelle ne prenait plus la paroles depuis des lustres. Ce n'était cependant qu'un détail insignifiant pour le petit, qui se traina jusqu'au corps de Museau de Brume, et se mit à téter. Le pelage paraissait terne, gris, rêche sous ses coussinets, le gout du lait était plus fade aussi, son parfum moins réconfortant et sa chaleur moins présente. Mais au moins, le lait coulait dans sa gorge et comme un forcené, le chaton tira donc de plus belle sur les mamelles, cherchant par tous les moyens à apaiser sa faim atroce et à se réchauffer un tant soit peu. Les protestations de la chatte moururent dans sa gorge, et elle se pencha légèrement pour le renifler.
- Tu aurais mieux fait de le tuer, Etoile d'Hiver. La mort est inéluctable. Mais si tu désires la souffrance, il n'en tient qu'à toi.
Un lourd silence s'écoula dans la Pouponnière, durant lequel les félins regardèrent le petit mâle boire, boire jusqu'à s'étrangler à moitié. Toussant un peu, il se mit ensuite à se rouler en boule contre le flanc, très amaigri, de Museau de Brume et se mettre à dormir. Elle redressa la tête :
- Comment souhaites tu l'appeler ?
Malgré toute sa bonne volonté, elle n'avait pu masquer la pointe de tendresse qui habitait sa voix éraillée.

- L'espoir...
Museau de Brume renifla avec mépris.
- J'ai espéré moi aussi. Et regarde ce que le Clan des Etoiles a fait à mes petits !
Je ne répondis pas. Elle avait raison. Je n'arrivai pas bien à cerner la relation entre cette chatte et le clan des étoiles, qui semblait la détester au plus haut point. Cela ne ressemblait pas à nos ancêtres de se comporter ainsi, alors je me méfiais d'elle.
Je vis mon fils se traîner jusqu'au corps de la guerrière et se mettre à téter. L'ambiance tendue de la pouponnière descendit alors d'un cran.
- Tu aurais mieux fait de le tuer, Etoile d'Hiver. La mort est inéluctable. Mais si tu désires la souffrance, il n'en tient qu'à toi.
Je comptai sortir un petit murmure, quelque chose pour me justifier, ou simplement "je sais". Mais voir la boule de poil téter avec avidité était en soi une réponse bien plus forte que des mots. Je ne pouvais le laisser mourir, alors le tuer...
- Comment souhaites tu l'appeler ? Demanda la femelle d'une voix étrange, une fois que le petit fut roulé en boule et plongé dans le doux monde des rêves.
Je ne crois pas avoir hésité longtemps. La réponse me vint instantanément, un peu malgré moi. C'était un beau nom, qui respirait d'un souffle de vie, qui était toute une histoire. L'image du corps sans vie de Feuille de Cannelle revenait sans cesse dans ma tête et me hantait. Je savais déjà que cette image me collerait à la peau pendant le moignon de vie qu'il me restait.
- Petit Espoir.
J'étais si fatigué, si las de cette histoire. A cet instant, je ne savais pas si j'aimais ce chaton pour lui-même, si je le détestais parce qu'il signifiait la mort de ma compagne, ou si je l'aimais parce que ma compagne l'aurait aimé et qu'il me rapprochait d'elle.
La vie était cruelle. La seule chose qui rendait la vie moins cruelle était l'espoir. L'Espoir... L'espoir éternel, le véritable espoir, celui qui ne mourrait jamais...

La chatte grise considéra les flancs du petit qui s'abaissaient à un rythme régulier, pelotonné qu'il était contre son corps maigre et son pelage terne, dénué de toute douceur. La sensation de ce chaton, encore inconscient du monde qui l'entourait et blotti contre elle lui conférait un sentiment de... puissance. Parmi les membres de son Clan, les rares qui montraient assez de "courage" pour s'adresser à elle ne s'en tirait pas sans au moins une insulte bien sentie ou, s'ils ne la laissaient pas tranquille, un coup de griffe féroce. De toute façon, ils ne lui parlaient que par moqueries ou par obligation. Pour cette boule de poil crème, c'était différent : il lui accordait une confiance entière, et ce sans la juger. Bien sur, il ne s'agissait pas de confiance, elle ne faisait que remplacer une "machine" à nourriture et à chaleur, mais au moins, lui ne la fuyait pas, le se moquait pas, ou pire, ne la jugeait pas d'un regard méfiant, empreint d'une certaine rancœur. La réponse de son Chef arracha à la guerrière un rire moqueur, dénué de la moindre trace de joie :
- Petit Espoir ? Enfin, tu aurais du l'appeler Petit Défunt, pour ce qu'il finira forcément pas être un jour, Etoile d'Hiver ! Ou encore Petit Tueur... après tout, il a prit la vie de sa mère pour naitre, ce n'est pas un bon présage. Sa destinée sera souillée par le sang qu'il fera couler ! Toutefois, si tu souhaite que je l'allaite, je t'obéirai... Ce sera peut être lui qui régnera sur les Clans un jour, le roi que tout le monde attendait, dont le règne sera plus grand encore que celui d'Etoile du Tigre !
Depuis sa plus tendre enfance, la chatte avait été éduquée par ces légendes anciennes, et surtout, dans la fascination qu'Etoile du Tigre exerçait sur elle. C'était son modèle, comme Etoile de Feu l'était pour certain. Jamais plus qu'en cet instant, elle n'avait eu l'air aussi folle, jusque dans les étincelles meurtrières que ses yeux brumeux lancés, troubles comme si elle venait d'absorber une bonne dizaine de graines de pavot, mais pourtant parfaitement consciente. Elle regarde à nouveau le corps du chaton, et son expression se détendit un peu, comme si la pierre se fendillait, laissant place à une tendresse qui, en apparence, ressemblait plus à l'intérêt que l'on portait à une proie juteuse. La guerrière, sans détourner le regard, s'adressa ensuite à son meneur :
- C'est quand même un beau nom. Nos ancêtres l'aimeraient certainement.
Sans ajouter quoique ce soit, elle se roula en boule en prenant grand soin de ne pas réveiller Petit Espoir, de ne pas la toucher, mais ne ferma pas les paupières pour autant, et resta là, immobile dans sa tanière, dans le calme paisible de la nuit.

» Petit Espoir
» LA VÉRITÉ [Pv Braisou et Hivernou]
» Symphonie des Enfers (c'moi Hivernou ^.^)
» Un petit rafraichissement? [finish!]

Quand un cœur s'arrête de battre, un autre apporte l'espoir [Hivernou & Petit Espoir]

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