« Après la pluie vient le beau temps »

Si le proverbe n'est pas toujours vrai en ce moment, aujourd'hui c'est le cas. Je décide de partir patrouiller tant qu'il fait encore beau, et pourquoi pas marquer les frontières et chasser. Il me faut trouver une deuxième personne pour aller avec moi.
Je vois Lune d'automne pas loin de moi et m'avance tout de suite vers elle et l'aborde calmement, heureux d'une journée dans le camp, sans enfin les autres pour m'embêter.
-Bonjour Lune d'automne, que dirais-tu de venir patrouiller avec moi au champ de blé ?
Et à ces mots, car je ne sais pas pourquoi mais je suis sur qu'elle va accepter, je m'élance en trottinant vers la sortie du camp, vérifiant tout de même au préalable qu'elle me suit.
Le ciel est gris-blanc, avec de gros nuages à l'horizon, mais le vent les éloigne de nous, alors il ne risque pas de pleuvoir. Une brise souffle doucement dans nos pelages et soulève nos poils au passage. Je me sens léger et me laisse porter par l'air froid.
Nous pourrions en profiter pour parler de chef à lieutenante, nous ne le faisons que très rarement, une piqûre de rappel ne serait pas de refus.
Nous arrivons rapidement au champ de blé, en avançant à un rythme soutenu, après un trajet silencieux. Je marque le territoire en faisant mes griffes sur un bout de bois mort qui traîne par terre puis je me retourne vers ma lieutenante.
Le soleil commence à faire briller nos fourrures, sans pour autant les chauffer. La terre est humide, mais ce n'est pas si désagréable que ça. Cette petite marche m'a fait du bien au coussinets car ça les a un peu ramollis, ils étaient craquelés et dur jusque là. J'étais obligé de devoir aller voir la guérisseuse pour qu'elle m'applique des onguents.
-Alors, comment vas-tu aujourd'hui ?
J'attends sa réponse tandis que je m’assois et enroule ma queue autour de mes pattes, on n'ira pas chasser avant d'avoir parlé un peu.

- Super bien, en plus avec ce soleil magnifique, il me donne envie d'en profiter de la vie a plein crocs.
Je souris à l'écoute de son enthousiasme.
-Tu vas avoir pour l'instant l'occasion de planter tes crocs dans du gibier, ce qui en soit, est déjà pas mal.
Je ris un petit peu. Mais je pense que la discussion ne devrait pas rester au stade gentillounet, et qu'il faut quand même commencer à parler administration du clan. Des autres clans aussi, de la nourriture et de guerres ou d'assemblées. Le brillant soleil fait mal aux yeux quand on le regarde, et j'ai du mal à croire qu'il est le même depuis le début, qu'il ne grossit ni ne grandit. Moi depuis ma naissance, je me suis multiplié en hauteur et en largeur. Je me rappelle quand, chaton, je regardais le soleil et ma mère me sermonnait. "Tu vas devenir aveugle si tu le regardes trop longtemps !". Et aujourd'hui c'est toujours le même, sans les préventions de cette reine qui m'a donné la vie par contre.
De cet air provient les senteurs d'une forêt et de clans toujours en mouvement, mais en parfaite harmonie. La nature, les chats et les cieux ne font qu'un ici, enfin c'est ce que tout le monde aimerait. J'ai une pensée pour ces chats qui ont crées les clans. Peu de gens en parlent, car ils étaient chats domestiques que l'on renie tous. Ou alors on ne mentionne pas ce détail. Je sais que c'est Luna qui a créer le mien, comment c'était déjà les autres ? Coco et Rêveur, ah non, Rêve. Des fois, j'en viens même à oublier nos origines, oui je sais. Mais ce n'ai pas parce que je n'aime pas cette histoire, j'adorait l'écouter étant petit, la seule chose qui me dégoutte est que finalement, nous sommes tous de lointains cousins, au fond. Je ne sais pas si mes arrière, arrières, arrières... et encore arrières jusqu'à loin grands-parents furent des anciens chats domestiques en arrivant sur les terres de Senshi-Neko, ou bien des solitaires, ou bien des arrières, arrières, arrières descendants eux-même des clans originels (ombre, rivière, tonnerre et heu... air ? ah non, vent). Oh et puis après tout, c'est un infime pourcentage de mon sang, et puis quelle importance ?
-Mais dis-moi Lune d'automne, penses-tu que la paix va durer cet hiver ?
Ce coup là, elle peut répondre ce qu'elle veut, ce n'est pas une question piège. Souvent, les guerres de famines sont provoquées par nous, mais c'est très variable, et certains clans peuvent être surprenants. J'aimerais savoir son avis sur la question.

-Je ne sais pas,mais je sais que la paix ne seras pas éternelle ça j'en suis sure!
Je hoche la tête, elle a raison. La guerre reviendra, mais on ne peut pas prévoir quand exactement, alors peut-être pas cet hiver, mais peut-être bien des lunes après, ou encore à la prochaine saison des feuilles mortes...La brise se calme et devient un petit vent toujours aussi froid, une bise glacée se frayant un passage dans le ciel et parmi le blé, qui ne sont encore que des tiges mornes de l'hiver, sans leurs graines qui nourrissent les mulots et autres rongeurs. Il y a donc moins de proies, mais certaines ont installé leur terrier dans le champs en attendant que le blé pousse, comme en prévision pour une vie. Seulement... les chats sont là pour nettoyer un peu tous ces petits terriers. Prévoyantes, ces bêtes là, mais pas assez. Je lève ma truffe dans le vent, sentant une effluve de viande. Alors que je comptais répondre à ma lieutenante, je m’aplatis au sol et avance vers cette odeur, bien plus forte au sol. Je souris et laisse découvrir mes crocs quand je la vois. Elle sent le lait, cette femelle campagnol, et elle comptait peut-être mettre bas après son hibernation, je ne sais pas d'ailleurs quand les campagnols font leurs petits. Oh et puis quelle importance, le mouton qui broute se fiche de savoir comment l'herbe pousse. Voilà donc que je saute griffes sorties sur la petite bête, et je crois qu'elle a fait une crise cardiaque une milliseconde avant que je la touche, parfait. Un travail propre, car je n'ai pas besoin de lui briser la nuque. Je m'assure juste de sa mort en lui enfonçant une griffe dans le ventre. Mais la chaleur quitte rapidement son petit corps. Nous sommes en patrouille et pouvons donc manger pour nous redonner des forces. Je reviens donc vers Lune d'automne et pose la proie au sol.
-Que dirais-tu que l'on mange un peu ? D'un coup de patte, j'approche le campagnol d'elle et attend qu'elle prenne la première bouchée avant de me nourrir moi aussi. Et puis j'en profite aussi pour continuer la discussion, pour qu'on puisse manger en parlant et éviter certains silences froids qui se forment des fois lors d'un repas.
-J'espère juste que nous n'aurons pas à voler les proies des autres clans cette années.
Nous y sommes souvent habitués les hivers où il neige, mais en ce moment il ne fait que pleuvoir et le vent souffle. Donc la paix restera sans doute cet hiver, à moins qu le clan de l'Ombre et de clan de l'Arc-en-ciel se cherchent des noises. En ce moment, je ne sais pas si j'ai envie de combattre, et puis de toute façon, il me faudrait une raison, sinon je me sens un peu mal. Par contre s'il est question honneur...

-Moi non plus, on a un point commun. Sinon ça se passe bien pour toi en ce moment dans le clan ? Le "on a un point commun" me fait doucement rire. Si on y allait comme ça ça serait facile. Nous sommes tous deux des chats. Du clan de la Lune, d'un haut rang. Nous avons tous les deux été autrefois apprentis. Nous avons une saison et un astre dans notre nom. Oui, nous avons pleins d'infimes points communs. La question qu'elle me pose ensuite me semble être de remplissage, car je ne sais pas non plus trop quoi répondre. -ça va, il n'y a pas grand chose à dire... Et toi, ça se passe bien ? Il me semble avoir comprit qu'elle a plusieurs amies dans le clan, et cela ne m'étonne pas vu sa sympathie. Je m'attends donc à une réponse positive. Je m'appuie sur une souche couverte de mousse et lèche un instant ma patte pour la passer sur mon front, un brin de toilette ne me fait pas de mal. Je regarde les fourmis rouges qui passent à mes pattes, sur la terre meuble du sol. Le ciel se couvre peu à peu, mais la pluie ne vient pas, je pense que nous pouvons encore discuter un moment sans que les gouttes ne tombent.

-Je l'était beaucoup plus que tu ne peux l'imaginer, il faut avouer que mon cœur c'est arrêter de battre pendant quelque seconde quand j'ai entendu mon nom. Je ne m'y attendait pas le moins du monde !!!
Je ronronnai légèrement. Aucun bon lieutenant assez modeste ne s'y attendait, à moins d'être vraiment le meilleur guerrier du clan, et que tu le monde vous le dise tous les jours. Je me rappelai un instant de ce jour, tragique au début. La mort d'Etoile de Merle nous avait tous attristé. Perdant toutes ses vies d'un coup, ne pouvant pas survivre à une telle chute, mon chef préféré était mort. Je n'avais jamais trop aimé Etoile de Nuit, elle prenait souvent des décisions trop vite à mon gout. Oui je la jugeait alors que je n'étais qu'un apprenti, et pourtant je me sentais déjà supérieur à elle. Je savais que j'aurais pu diriger le camp à sa place, même si je m'appelait Nuage d'Hiver. Mais bref, je n'allais pas repenser au passé maintenant.
-Oui, moi aussi j'étais surpris quand Etoile de Merle m'a choisit pour le seconder...
Les nuages, déjà, s'éclaircissent, nous offrant la vue d'un beau ciel bleu comme mon œil gauche. Pas loin de moi, je vois une coccinelle rouge sang - comme mon œil droit, je ne peux m'empêcher de penser. L'odeur qui flotte dans l'air est celle du jeune blé sortant de terre.
-Mais tu te débrouille très bien jusqu'à maintenant.

-Si on rentrait au camp ? proposa-t-elle.
-Oui, ce serait une bonne idée.
Je me lève pour qu'elle puisse s'appuyer sur moi si elle a encore mal et nous avançons lentement vers le camp. L'air se rafraîchit et je tremblote un peu sous mon pelage. Ma queue bat l'air et une brise froide se met à souffler. Nous devrions presser le pas pour le pas attraper froid.
Le sol meuble est un peu humide, recouvert de mousse et de feuilles en décomposition, avec quelques brindilles, si bien qu'on ne voit presque plus la terre. Les arbres forment un plafond, leurs branches s'entrecroisant au dessus de nos têtes. Les proies rentrent dans leurs terriers avant la pluie qui se prépare.